My heart yells to me  ;Tu as toute la vie devant toi. Les larmes coulaient le long de sa joue, elle serra un peu plus fort le petit être qu’elle avait mis au monde quelques heures plus tôt, secouant vivement la tête. Comment vas-tu lui donner une vie décente ? Elle renifla bruyamment, balbutiant des portes de sortie, un avenir ambitieux auquel elle ne croyait pas elle-même. Elle osa même souffler l’hypothèse d’une pension alimentaire. Non, il ne le reconnaîtrait pas. Non, il ne pourrait assumer un tel scandale. Tout ce qu’il pouvait payer, c’était son silence. Ah, à dix-neuf ans, elle avait cru en une incroyable romance avec cet homme charismatique qui entrait tout juste dans la trentaine. Il était grand, il était beau, il avait quelque chose de différent. Marié, oui, mais et alors ? Peut-être s’était-il trompé, peut-être allait-il réaliser qu’elle était son grand amour ? Min Young rêvait d’amour, comme dans ces romans qu’elle pouvait lire. Le cliché romantique, l’homme influent venant d’un milieu bourgeois et aisé, la fille modeste qui débarquait de sa campagne pour affronter la ville et une nouvelle vie. Elle en parlait avec tant d’enthousiasme, aux filles restés au pays.

Il faisait froid, en ce mois d’octobre 1995, mais elle ne ressentait rien. En quittant l’hôpital, ses bras serrés contre elle, l’adolescente qu’elle était encore avait l’impression de le tenir encore, de l’avoir encore tout contre elle. Un sentiment de dégoût s’emparait d’elle, de honte. Elle avait abandonné son enfant. Pire, elle l’avait vendu. Pour quelques wons, un avenir déjà brisé et la promesse que celui de son fils serait mieux. Plus brillant, plus avantageux. La romance n’avait sans doute jamais existé, juste dans son esprit. Peut-être avait-il déjà tout planifié, lui qui parlait de sa femme stérile. Peut-être avait-il simplement profité de la naïveté de cette ignorante, qui croyait encore aux véritables preuves d’affection, qui pensait que la vie était belle, que le monde était beau. Peut-être qu’un jour, elle le reverrait, qu’un jour, Jin Woo saurait la vérité, saurait qu’elle existe, la retrouverait. Peut-être qu’un jour, elle pourra à nouveau le serrer dans ses bras avant de mourir de chagrin.

Peut-être qu’un jour, des scientifiques se sont demandé si des valeurs morales pouvaient être génétique, si le caractère était totalement héréditaire. Jin Woo serait un bon sujet d’étude, capable de prouver que même la plus douce, la plus bienveillante et attentionnée des femmes pouvait concevoir un petit être exécrable, capricieux et hautain qui soi. Jin Woo ne demandait jamais, il exigeait. Sa mère avait souhaité du cliché, elle l’avait elle-même créé. Le cliché de l’enfant trop gâté. Jin Woo parlait fort, s’exhibait avec des vêtements hors de prix et des montres bien trop cher pour son âge, il évoquait ses jet lag causé par des voyages entre New York et Paris. Il se vantait l’air de rien de connaître par cœur la capitale Française, et de la vie des vrais Parisiens, qu’il vivait bien sûr dans l’hôtel particulier de son père dans le seizième. Parfois, il s’en va tout de même dans des pays pauvres, se confronter à la misère du haut de son hôtel 5 étoiles qu’il n’évoque jamais, parlant plutôt de la misère de ces pauvres gens qui ont pourtant un cœur gros comme ça et un sens du partage incroyable.

Oui, Jin Woo était le cliché parfait de la jeunesse dorée. Entouré d’objet en tout genre, les plus beaux jouets, des gouvernantes prêtes à tout pour lui faire plaisir. Quelques fois, il avait la chance de croiser son idole au détour d’un couloir, osant timidement l’approcher de temps en temps pour recevoir une petite tape sur la tête. Son père était le meilleur, le plus grand, le plus fort. Sa mère était une femme effacée. Le genre de femme à la beauté époustouflante mais sans le moindre charme. Vide. Aussi loin qu’il puisse se souvenir, il n’avait pas l’impression d’avoir déjà eu une réelle conversation avec sa mère. Parfois, il se demandait si elle l’aimait. Il lisait partout qu’une mère aimait automatiquement son enfant, mais il n’avait pas cette sensation. Elle ne lui avait jamais dit, n’avait que rarement des gestes tendres envers lui. Elle semblait toujours se battre contre un mal inconnu, pleurant silencieusement dans sa chambre, tenant des propos incohérents que ses oreilles d’enfants ne comprenaient pas. Chaque jour, elle semblait épuisée, sans pour autant bouger ou faire quoique ce soit, c’était comme si le moindre mouvement était une épreuve insurmontable.
     
   Can I love someone again ?  ; Ça l’était. Mais Jin Woo ne le savait pas. Il finit par le comprendre quand elle décida de partir, de les quitter pour toujours. La dépression était une maladie qu’il n’avait jamais réellement compris. Ce mal qui le rongeait, cette impression de ne pas avoir sa place sur terre. Tout vêtu de noir, il regardait le cercueil s’enfoncer sous terre, la main de son père sur son épaule. A douze ans, il comprit la fragilité de la vie, mais surtout qu’on pouvait mourir sans que cela ne fasse rien à personne, qu’on pouvait disparaître sans que cela n’affecte personne. Il en avait parlé des heures à Seung Joo, son ami le plus proche, celui qui le suivait depuis déjà tant d’année. Avec lui, il se sentait libre, il se sentait bien, apaisé de tout ce qui pouvait le tourmenter. Comme s’il pouvait un moment laisser de côté son rôle de petit bourgeois pour être un adolescent comme un autre, qui devait faire face au suicide de sa mère, à cette impression d’être trop insensible à cela. Toute sa vie, il s’était demandé si elle l’aimait, mais, et lui ? L’avait-il réellement aimé ? La vérité était qu’il avait plus d’affection pour ses gouvernantes que pour sa propre mère.

Qu’est-ce que l’amour ? Pour un jeune adolescent prépubère, c’est sans doute un accès à une bonne connexion internet pour assurer qu’il a effectivement plus de dix-huit ans à une fenêtre qui vient s’en assurer. L’amour, c’était ce qu’on pensait ressentir pour la plus jolie fille de sa classe, celle qui nous regarde avec ses grands yeux. L’amour, ça pouvait également être cette romance éphémère au bord de la plage où on échangeait son premier baiser. L’amour, c’était aussi ce qu’on pouvait ressentir pour son père, pour ses amis. Son ami. Parfois, il pensait à Seung Joo, il réalisait la chance qu’il avait de l’avoir. Il lui envoyait des messages, toujours impatient de pouvoir passer un peu de temps avec lui après l’école. Les filles de l’école n’étaient pas assez jolies pour lui, personne n’était assez bien, il se le répétait souvent. Sauf peut-être Yoona des SNSD, mais ça il préférait le garder pour lui. A quinze ans, l’amour, ça peut être tant de choses, pourtant, son choix à lui avait été contre tout ce qu’on aurait pu envisager, loin de tout ce qu’il avait espéré. Peu à peu, il s’éloigna de Seung Joo, il mit une certaine distance entre eux. Il voyait bien l’entreprise de sa famille s’écrouler, mais il avait voulu être égoïste, ne penser qu’à lui. Se protéger.

Finalement, fuir était sa spécialité, il faisait ça bien, très bien. Ignorant sa détresse, sa peine, ce qui lui arrivait, il l’avait abandonné, laissé tomber et se haïssait pour ça. Se détestait de laisser la seule personne qui avait réellement été son ami un jour. Jin Woo espérait qu’un jour les choses pourraient changer, qu’un jour, ils se retrouveraient, qu’il pourrait s’excuser. Il perdait sa seule échappatoire, son seul moyen de relâcher la pression, d’être lui-même. Il préféra reprendre son rôle, il se laissa enfin aller, mettant dans son lit la plus belle fille du lycée, il découvrait les plaisirs de la luxure, celui du contrôle. Son père lui apprenait déjà les rouages du métier, devenir un bon commercial, un voleur honnête, comme il le disait. Des cosmétiques à la mode, à l’emballage adorable qui commençait déjà à se vendre en Amérique ou en Europe, et un peu partout en Asie. Son héros devint progressivement son pire cauchemar, toujours plus exigeant, tiré à quatre épingles, poli et courtois, il avait une réputation à tenir. La réputation de la famille Bae, digne héritier de son père et de son grand-père.

Des études en commerce international que son père choisit pour lui, afin d’être au mieux préparer sur le papier pour ce qui l’attendait, pour devenir un bon PDG. De beaux sourires de circonstances, quand bien même il gardait une image sulfureuse de séducteur, on s’intéressait à lui, à son charme, à sa prestance. Jin Woo faisait honneur à son père chaque jour. C’est sur internet qu’il s’offrait une voix, une opinion qui divergeait. De longs textes sur un blog anonymes, une façon de pensée bien à lui, Jin Woo voulait faire parti de cette vague, il voulait avoir une voix, il voulait exister. Il voulait à nouveau exister.