we all
eat lies
when our
hearts are
hungry

Au crépuscule d’un jour passé sans repos, son derme hérissé de toute la protestation qu’elle n’avait su alors verbaliser – sa peau l’irrite et la frustrée ne laisse échapper qu’un râle contrit lorsqu’on l’informe du dîner prévu. L’excitation typique laisse place à une forme d’asthénie particulière, son esprit pourfendu de tourments qu’elle n’avait voulu affronter que des années plus tard. Jamais le mariage n’avait eu l’audace de se frayer un chemin dans ses pensées les plus débauchées, enterré derrière trois ou quatre cœurs brisés qu’elle peinait déjà à rapiécer.

C’est le myocarde atterré et toute sa conviction balayée qu’elle s’émancipe de ses affres et s’apprête à faire face à son destin – destin qui se présente alors sous la forme d’un si beau jeune homme, véritable frère de substitution à ses yeux ingénus. Si en son sein tu occupais une place des plus intimes, si à une époque l’ambiguïté faisait vaciller son regard face à l’intensité du tien, c’est sans le moindre dessein romantique qu’elle t’accorde l’une de ses plus gracieuses révérences, tenue de faire honneur à son maudit nom. « Sora ! Merci d’être venue. » Lippes étirées en un sourire poli, débordant de toute l’affection qui fait palpiter son cœur – même contrariée, elle ne cesse de t’adorer.

« Je suppose que tu sais pourquoi on se voit ce soir ? » Et Sora ne peut s’empêcher de tressaillir, la réalité se faisant enclume à sa cheville gracile ; oui, elle le sait et le défend, une fine partie d’elle priant pour que quelque miracle l’arrache à cet arrangement contre nature. « Naturellement. » Syllabes saturées de professionnalisme détaché, les remords diaprant instantanément ses épaules d’un châle terreux. « Qu’est-ce que tu en penses ? On est entre nous, tu peux me parler honnêtement. » Si c’est un soupir qui commence par glisser entre ses lèvres, c’est la gorgée de champagne qui finit par délier sa langue.

« Ca ne me plaît pas du tout. » Sur la table ses doigts s’agitent, pianotant nerveusement contre le bois. « Je veux pas me marier comme ça, par arrangement. On parle d’un mariage, pas juste d’un contrat pro ! » Et l’idée d’être vendue la révulse, la poitrine serrée à la perspective d’un avenir bousculé par les ambitions délurées d’une matriarche sans pitié. Pourtant lorsque ses yeux se lèvent, hésitants, pour se confronter à la sérénité des tiens, c’est chevrotante que sa voix s’impose. « Tu as l’air… Tu n’as pas l’air contre. »

La suspicion s’élève et son ton s’abaisse, à peine plus haut qu’un murmure désemparé – illusions vénales, tu t’étais fait seule opportunité d’échapper à cette fatalité et te voilà acheté, peut-être d’accord avec les idéaux de ses chers parents. De vos chers parents. Mais Sora avait beau se plier aux mille et uns désirs de sa beauté froide de mère, il n’y avait qu’une chose pour laquelle elle se battrait jusqu’à la mort, et il s’agissait de ses sentiments. Quand bien même dût-elle se défaire de ses plus belles amitiés quelques années plus tôt, jamais elle n’offrirait son cœur sans que l’affection soit candide. « Est-ce que tu m’épouserais, juste pour faire plaisir à nos parents ? »
Bouche pincée en une ligne fine, à mi-chemin entre l’agacement et la contenance – elle fait fi de ses manières et vide le verre d’un trait plutôt que d’en savourer la richesse, le besoin de s’alléger l’esprit surpassant celui de faire bonne figure. « Il en est parfaitement hors de question, Jinwoo. Je n’épouserai pas quelqu’un sans en avoir envie. »