— silence sans clémence ;
yujin qui dans la pénombre quitte son repère,
un bar comme rédemption pour abréger sans doute sa punition –
seul lieu ayant accepté de couvrir la misère
d’un gamin tout juste sorti de prison.

les rues sont sombres et le ciel pollué par les lumières de la ville,
des néons vibrato qui viennent faire danser les derniers pansants dans les allées bétonnées –
et yujin, vieux cadavre ébranlé déambule dans les ruelles la clope à demi-consumé entre les lèvres,
à écouter sa mécanique se coincer devant la perte de l’habitude de vivre à ciel ouvert –
pouvoir admirer le plafond étoilé de l’extérieur et pas derrière une fenêtre aux carreaux barrés.

un cri déchire l’air et c’est une voix comme frottée au tabac qui tonne dans l’atmosphère ;
et yujin il l’aurait bien ignorée parce qu’après tout ce ne sont pas ses affaires
et qu’il a appris à fermer les yeux sur ce qui doit se passer,
à avoir foutu depuis bien longtemps au placard sa cape de pseudo-justicier.

(parce que ce soir là elle n’avait servi à rien,
qu’à le brûler,
le déchirer,
le foutre à terre sans qu’il ne puisse plus jamais se relever,)

regard hagard sans intérêt qui déambule sur les silhouettes dépravées,
c’est une bouteille qui éclate sur le sol dans une colère incontrôlée –
et lassé, yujin désabusé détourne les yeux,
fatigué de ces théâtres sans saveur aux spectateurs éhontés
qui admirent
presque fascinés
l’humain se perdre en détresse
(et puis les acteurs sont déjà oubliés)
lors que le rideau est tiré.

parce qu’il connait la musique –
c’est la voix qui va monter,
c’est la parole qui va provoquer,
c’est le poing qui va s’animer
(s’acharner)
et les coups de pieds, qui tâcleront sûrement
(la mâchoire le torse les genoux le dos)
de l’innocent désigné par un destin à chier et sans justice.

ça craint,
c’est quotidien –
mais yujin a cessé de s’en préoccuper ;
comme yujin a cessé de croire en une réalité
qui bouscule le moindre de ses principes.

alors il se détourne ;
à déjà imaginer les teintes rouges – vives & immaculées tâcher le sol
f r o i d
et sans vie
de cette nuit d’été.

et c’est un autre timbre qui le fait s’arrêter ;
al dente, c’est glacial comme la lame d’un couteau puis brûlant dans les mots,
c’est pas banal dans la façon de s’exprimer,
c’est pas normal à moins d’être fou à lier.
et yujin la connait bien, cette voix –
alors il se retourne.
et ne contournera pas cette fois le problème.

y’a un problème ?

yujin pas inconnu,
la mine un peu écorchée et le regard hargneux,
ceux des clébards délaissés qui ont appris à régner dans la décharge qu’ils ont fait voeu de protéger.

quoi, sérieusement ? vous vous en prenez à la tâche qui m’sert de pote ? franchement, il en vaut pas trop la peine.

son nez se retrousse un peu –
mauvais criminel
yujin qui prend un air sérieux
à pourtant détester jouer une telle comédie
à prendre les atours d’un rôle qu’il a toujours préféré passer sous silence et l’enterrer dans les abîmes éternelles
des choses qu’il s’est interdites.

dégagez.

et c’est un peu brut parce qu’il faut bien les chasser –
yujin c’est pas un mauvais gars mais son visage est tâché
et l’encre indélébile font de lui un innocent peu crédible.

et l’autre victime n’en est pas moins coupable ;
il te regarde yujin,
à s’demander pourquoi il t’a aidé toi qui prend tant de plaisir à l’démonter,
à marcher sur les autres pour espérer s’élever.


(c’est minable,
c’est méprisable,
ça vaut rien, ça vaut que dalle,
et pourtant,
yujin il est là,
à te regarder, le visage sale,
la dégaine misérable,)

t’as vraiment une sale gueule, kaelan. tu t’faisais chier et tu t’sens mieux avec le visage à moitié défoncé ?

et il s’marre un peu,
yujin,
comme le karma qui revient te dévorer,
l’arrogant foutu à genoux devant celui que tu croyais à tes pieds.